Source: lexpress.fr
Une centaine d’associations sont réunies à Londres pour aborder la situation humanitaire en Syrie, ce jeudi. L’Express a interrogé l’une des activistes engagée au quotidien dans le soutien aux femmes de son pays, la Franco-syrienne Mariah al-Abdeh, directrice de l’ONG Women Now for Development.
“Malgré ou à cause de la guerre, les femmes de Syrie ont besoin de préparer l’avenir. Nous sommes là pour les y aider”. Mariah al-Abdeh est à Londres, pour la conférence sur la situation humanitaire en Syrie, en marge de la conférence des donateurs, les 3 et 4 février. Elle représente l’ONG Women Now for Development, fondée à Paris en 2012 par l’écrivaine Samar Yazbek.
Franco-syrienne, Mariah al-Abdeh est originaire de Damas, où elle a passé son adolescence. Elle revient en France pour passer son doctorat en microbiologie, puis retourne en Syrie après le soulèvement de 2011. Mais quand la répression s’abat brutalement sur les protestataires, elle fait le choix de revenir en France.
Formation et soutien aux projets de femmes
Avec le soutien technique et financier de plusieurs partenaires, dont CARE France, Women Now for development apporte un
soutien aux femmes syriennes confrontées à la guerre. “Nous organisons des formations professionnelles, des cours d’anglais, de premiers soins, explique Mariah à L’Express; nous apportons un soutien culturel et psycho-social à quelque 10 000 femmes et 5 à 6000 enfants”.
L’association s’occupe également de micro-financement pour aider les femmes dont beaucoup sont devenues chargées de famille, et soutient leurs projets pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants. “Nos centres sont aussi un lieu de rencontre, de discussion, ajoute Mariah. Dans l’un d’eux, nous avons installé une bibliothèque, très fréquentée. Nos activités aident les femmes à garder le moral, alors qu’elles vivent dans des conditions très précaires, qu’elles subissent les pénuries, les bombes. Par endroits, poursuit-elle, notre association pallie à l’absence totale d’organisation civile.”
Women Now for development, qui emploie 106 femmes et 11 hommes, déploie ses activités sur trois sites principaux: l’un dans la plaine de laBekaa, au Liban, où sont installés 400 000 réfugiés syriens; les deux autres en Syrie, dans une zone assiégée près de Damas, et dans le nord du pays, une région aux mains de l’opposition. Pour protéger les activistes de l’association, Mariah préfère ne pas donner de détail sur la localisation des centres. Le régime syrien, comme son parrain russe, s’acharne particulièrement sur les hôpitaux, les boulangeries, les écoles, afin
de faire fuir les civils, comme en témoignent Libérationou Le Monde.
“Dans la Bekaa, poursuit Mariah, nous apportons aussi une assistance légale, puisque les réfugiés n’ont pas le droit de travailler. Nous assistons les femmes qui font tout un tas de petits boulots au noir pour subvenir aux besoins de la famille.”
Des conditions dégradées depuis les frappes russes
En Syrie, la situation s’est beaucoup dégradée ces derniers mois, dénonce Mariah. “Une de nos collègues a été tué lors d’une attaque de Bachar el-Assad, il y a deux mois. Les bombardements russes sont plus nombreux et plus violents que ceux de l’aviation du régime.” L’un des centre de l’ONG, dans le nord de la Syrie, a été déplacé à cinq reprises en raison des bombardements. La coordination avec les équipes sur le terrain est aussi devenue plus complexe depuis que la Turquie a fermé ses frontières. “Il est presque impossible pour nos équipes d’entrer et de sortir. La Syrie est devenue une sorte de trou noir”, déplore la militante.
Depuis le début de la guerre, les femmes syriennes, et notamment celles de milieu modeste auxquelles s’adresse en priorité Women Now for Development ont, malgré tout, appris à s’affirmer. Lors de son dernier déplacement en Syrie, en 2014, Mariah discutait avec une mère de famille, sortie manifester avec d’autres femmes. Son mari n’était pas d’accord avec leur action. “Nous n’avons cessé d’être terrorisées par Assad, lui a-t-elle répondu. Nous n’allons pas avoir peur de nos maris !”.
Pour Mariah, l’assistance aux Syriens ne doit pas se limiter à l’aide d’urgence. “Financer le contre-terrorisme et envoyer des paniers alimentaires aux déplacés ne suffit pas, insiste-t-elle. Il faut aussi veiller à l’éducation de la génération à venir.”
Quelque trois millions d’enfants Syriens, dans le pays et parmi les réfugiés, ne sont pas scolarisés, selon l’Unicef. Récemment, “des pourparlers étaient en cours pour un cessez-le-feu dans une zone assiégée, se souvient-elle. On a contacté des femmes sur place et on leur a demandé ce dont elles avaient besoin. Elles ont réclamé des manuels scolaires! Pas de la nourriture ou de médicaments. Elles n’ont parlé que d’éducation. Elles sont très préoccupées par l’avenir de leurs enfants.” Mariah se rappelle aussi du texto d’une étudiante accablée après avoir appris le déplacement d’un centre de formation en raison du pilonnage de l’armée russe. “Qu’est-ce que je vais faire? Je ne peux déjà plus accéder à l’université. Et maintenant je n’ai plus accès aux cours d’anglais!”, se désolait la jeune femme. “Vous n’imaginez pas à quel point les Syriens ont soif d’apprendre, assure Mariah, malgré leur quotidien au milieu des ruines et sous la menace du feu du ciel.”